lundi 20 février 2017

Jardin d'hiver de Olivier Paquet

Année d'édition : 2016
Edition : L'Atalante
Nombre de pages : 416 pages
Public visé : Adulte
Quatrième de couverture :
Dans le contexte du réchauffement climatique, un conflit est né en Europe entre des ingénieurs réunis sous la bannière du Consortium et des groupes écoterroristes de la Coop. Cette guerre dure depuis près de 20 ans, suite à un incident appelé " le crime du siècle ". Chaque camp a développé ses propres armes : des animaux-robots pour les ingénieurs, des plantes mécanisées pour les écologistes. L'histoire tourne autour d'une bande de contrebandiers cosaques qui récupèrent des pièces détachées après les batailles et dont la philosophie se résume à cette maxime : " Nous sommes des contrebandiers, des gens qui refusent d'appartenir à un camp au nom de notre choix d'emmerder le monde. " Un soir, ils tombent sur un inconnu amnésique au comportement étrange. Cette découverte leur fera traverser l'Europe à la recherche du passé et des germes du futur.



Jardin d’hiver, titre à la fois expressif et trompeur, contraste ou antagoniste, les mots jardin et hiver ne vont généralement pas de pair, et pourtant ce titre est très bien choisi, et il se comprend bien une fois le roman lu. Pourquoi je vous parle du titre ? Parce que c’est ce qui m’a interpellé, je trouvais l’expression belle, intrigante et j’avais bien envie de découvrir ce que cachait ce titre qui me parlait tant. Dans l’ensemble, je ne suis pas déçue du voyage et une nouvelle fois, je suis surprise par un roman de science – fiction qui est de loin le genre que normalement j’affectionne le moins. Parlons en !

Dans une Europe futuriste, deux sociétés s’opposent. Le Consortium d’un côté, régnant sur Mégapôle (ancien Paris), des pro technologistes vivant au crochet d’une intelligence artificielle appelée Sublime, où certaines personnes vivent en quasi symbiose avec un daemon de métal et d’engrenages recouvert de chair et de poils, pur produit des ingénieurs du clan, et se concentrant essentiellement au sein de l’Europe de l’Ouest. Des querelles internes existent entre l’armée et la police, et la population vit insouciante dans le dédale de cette super société technologique où les cyborgs, armes extrêmes ou limite extrémiste de la technologie, circulent dans la rue sans inquiéter. De l’autre, les pro écologistes, occupant globalement l’Europe de l’Est, ils prônent le respect de la nature, et pourtant créent des armes toujours plus destructrices à l’image de celle qu’ils vénèrent, transformant, métamorphosant arbres et fleurs. Il semble être dirigé par un grand manitou répondant au doux nom de Hetman, personnage menaçant dans l’ombre. Ces derniers ont pour allier la Chine menacée par une éruption volcanique et ayant besoin de la technologie du Consortium pour y survivre. Et puis, il y a le Sanctuaire situé en Islande, qui sort de la guerre entre les deux clans précités, ils sont un lieu neutre et pacifique qui est gouverné par une ancienne écologiste, Sylvia, qui quelques années plus tôt aurait du épouser le responsable de l’armée du Consortium et ainsi assurer une paix avortée au sein de l’Europe, mais c’était avant le plus grand crime du siècle.

Et puis au milieu de tout ça, la Tchaïka, vaisseau de contrebandiers mené d’une main de fer par Natalia, se retrouve sur un champ de bataille désastreux afin de récupérer quelques pièces à vendre, où le seul survivant est un jeune homme en tenu de civil, amnésique et au drôle de réactions. Ils nomment ce dernier Innocent, démarre alors pour eux une aventure improbable, à travers l’Europe, en quête de l’identité du jeune homme et au sein du conflit qui scinde le continent en deux.

Olivier Paquet dresse un univers riche, dense et travaillé, c’est très fouillé, très inventif, on sent toute l’imagination débordante et foisonnante de l’auteur à travers ces deux peuples que tout oppose à l’extrême, à tel point qu’ils finissent un peu par se ressembler et se rejoindre, les technologistes « s’écologisent » et les écologistes se « technologisent ». Il y a là un contexte géopolitique des plus intéressants, même si le Consortium a la part belle dans l’histoire, il faut dire que l’auteur nous régale d’inventions technologiques incroyables et les daemons sortent aisément du lot, ces pseudos animaux de compagnie sont un bijou de technologie, de véritables armes dangereuses sous des airs d’animaux tendres et affectueux. Il y a presque quelque chose de chimérique dans toute cette technologie. A travers tout ça, l’auteur pose évidemment des thèmes et ouvrent à la réflexion, d’un côté la technologie s’avère magnifique et indépendante, et nettement moins dangereuse seule que gouvernée par les hommes, d’un autre la nature, amadouée, transformée en arme, surexploitée par l’homme en perd toute son innocence et sa fraîcheur, là encore l’intervention humaine vient tout détruire, on y voit donc l’idée que l’intervention humaine est bien souvent plus néfaste que bénéfique sur l’un comme sur l’autre.

« – Vous pouviez l’empêcher d’atteindre le seuil.
– Tôt ou tard, on se serait confrontés au problème. Une intelligence artificielle forte est conçue afin d’apporter une vision différente du monde, pour explorer d’autres chemins que ceux du raisonnement humain. Nos daemons font le reste. »
Laurée eut une moue dubitative. Elle finit par fermer le robinet. « Désormais, Coop et Consortium se retrouvent à égalité.
– Comment ça ?
– Les écolos fanatiques ont toujours justifié leurs actes au prétexte qu’ils défendaient la Nature, une entité tellement supérieure aux humains qu’ils n’étaient pas dignes de la comprendre et devaient en accepter les colères. Les arbres ne privilégient aucune cible. Vos ingénieurs ont créé un équivalent technologique avec Sublime. Vous devez attendre ses décisions, avec des informaticiens en guise d’oracles.
– C’est dire à quel point on est dans la merde ! »
Laurée éclata de rire. »


Du côté des personnages, Dévoreur est le héro du roman, toutefois s’il a quelque chose de profondément humain, un caractère plutôt bien dépeint et des interrogations propres à tous, il n’en manque pas moins de charisme et de nuances, une attitude immature, un peu trop spontanée, viennent entacher un potentiel énorme, car le personnage est surprenant, recèle bien des secrets et tente de se construire ou du moins se reconstruire à travers cette aventure, une quête d’identité perdue par ce « dévoreur » qu’il est devenu. Il perd aussi en saveur face à un autre personnage, Laurée, un personnage fort, qui s’impose rapidement, et qui pour le coup réserve son lot de surprises et de révélations, là encore on a un personnage perdu, qui cache des choses, qui se cherche et qui cherche une place dans cette vie où le passé lui a été imputé et imposé par l’un des siens. Encore une fois, la thématique de la quête de soi, d’une identité, d’être et d’exister en tant que personne à part entière prédomine. Ensuite, il y a l’équipe de contrebandier, Natalia et toute sa clique de cosaques ; Dimitri, Dunya, Boleslav, Fiodor, absolument géniaux, forts en gueule et en charisme, une vraie famille, des hommes et des femmes libres, sans partie pris et qui emmerdent royalement les uns comme les autres, les lois et la légalité. Il y a aussi Catherine, la marraine de Dévoreur / Innocent, un personnage froid et calculateur, dont on a beaucoup de mal à définir les objectifs, si elle est du bon ou du mauvais côté, un personnage très antagoniste. D’autres personnages secondaires ont aussi leur importance, il faut dire que l’auteur les a particulièrement soignés, les a rendu crédibles avec leur lot de casseroles à traîner et leur attitude plus « héroïque » dans l’aventure.

A partir de là, l’auteur plante un décor d’après réchauffement climatique, à l’aube d’une guerre imminente pour aventurer ses personnages à travers des rebondissements et des révélations qui viennent maintenir notre intérêt tout au long du récit. On vit là une aventure des plus palpitantes et surtout dépaysantes traversant une Europe métamorphosée et gangrenée par des idéologies extrêmes. Un reproche que l’on peut faire, c’est qu’il y a un contraste entre un fond et un univers fouillé et une intrigue légèrement moins soignée. Pourquoi ? Tout simplement, parce que les dénouements des fils d’action ou les moments d’intrigues sont souvent vite balayés par des solutions plutôt faciles et des chutes rapides, il y avait là matière à encore nous en dire davantage et à faire preuve d’autant plus d’imagination. Il nous reste toutefois, une évolution plus qu’attractive de certains personnages et une fin des plus surprenante à laquelle on ne s’attend pas forcément mais qui finit sur une note d’espoir. L’auteur écrit tout ça d’une jolie plume, un style maîtrisé plutôt agréable à lire et détaillé dans le monde dans lequel il nous immerge.

En bref, un univers très fouillé où se heurtent technologistes et écologistes permettant à l’auteur de véhiculer des idées sur les uns et les autres et où l’homme n’a pas le plus beau des rôles, des personnages charismatiques et forts, même si le héros se fait manger la vedette par les autres, il y a là toute une notion d’identité mais aussi d’amitié, d’amour, de pardon, de valeurs humaines prépondérantes, tout ça dans une aventure incroyable à travers une Europe qui n’est plus la notre. Petit bémol pour certaines facilités dans l’intrigue mais le roman est tout même plutôt réussi et on ne peut que souligner l’imagination de l’auteur !

Je remercie Louve du Forum Mort Sure et son partenaire les éditions de l’Atalante pour ce partenariat.

Chronique de Walkyrie
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